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Analyse 

 

          Il est existe un contraste marquant entre la vision initiale du plan de la Mère et ce qui a réellement été réalisé par l’architecte Roger Anger sur le terrain. En effet, ce dernier a graduellement pris conscience du fait que les éléments du plan directeur n'allaient pas se concrétiser dans l’ensemble, puisqu’il remarquait que l’homme ne s’appropriait pas la ville comme il l’avait été planifié. « [...] C'est nécessaire que [la ville] soit construit[e] au niveau de l'expérience individuelle. [...] Le but [d'Auroville] n'est pas de construire une ville, mais de construire des hommes nouveaux» (Anger : Risser, 2008).

 

          Avec la mort prématurée de la mère, 5 ans après le début des travaux, le projet connait un déséquilibre majeur par rapport au plan initial, Anger continue malgré tout à jouer un rôle dans l'évolution du projet. Dans les dernières années de sa vie, de constants obstacles et la remise en question de la part des Aurovilliens sur sa contribution au projet, suite au départ de la mère, l’empêchent de mener à terme le projet d'urbanisation. Il préfère alors se consacrer à la création de conditions favorables à la croissance de la ville en établissant un système de gouvernance capable de promouvoir le développement d'Auroville. Ce choix se traduit présentement par le manque de plans détaillés de la ville. Sa quête de former un modèle d'homme meilleur a eu préséance sur son rôle d'architecte-chef pour la ville.  

La maquette 

 

         Dans le plan initial d’Auroville, on remarque un centre dégagé pourvu d’un bâtiment à l’identité visuelle forte : le Matrimandir. Au pourtour de celui-ci, on retrouve également une section comprenant des bâtisses aux formes hétérogènes, toutes rattachées les unes aux autres et positionnées dans l’aire d’influence du centre fort. Le tout se trouvant finalement dans l’enceinte d’une zone verte circulaire qui vient ceinturer l'ensemble du projet, délimitant la ville du reste de l'existant.

 

           Plusieurs auteurs, dont Ian Bentley et ses collaborateurs du livre Responsive environnements : Manuel for Designer, mettent de l’avant des concepts clés qui permettent d’aborder la ville sur le plan du design urbain. Selon ces derniers, sept facteurs contribuent à étudier la façon dont le design urbain peut affecter le choix des habitants d'une ville, et ce, à plusieurs niveaux. En référence aux concepts avancés par Bentley et al., voyons, dans un premier temps, comment le plan initial et, dans un deuxième temps, comment le projet actuel d’Auroville intègrent ou non ces notions du design urbain.

 

Auroville aujourd'hui

          À ce jour, on remarque que certaines conditions doivent être remplies si l’on souhaite entrer en sol aurovillien et cela a un impact direct sur la perméabilité des lieux. Pour accéder au site, plus particulièrement au parc central, les touristes doivent passer par des points d'attentes avant d’entamer leur visite. Cette notion de « filtrage » et de contrôle des entrées et sorties joue un rôle important quant à la perméabilité du site. Puis, pour être admis en tant que résident de cette ville construite pour l'humanité, les nouveaux arrivants doivent soumettre leur candidature à l’étude d’un conseil composé d'aurovilliens membres. L'implantation de la nouvelle résidence est ensuite votée par les membres de l'humanité avant d'être accordée aux demandeurs. Ce processus rend l'entrée au site ardue et prolonge l’attente. Est-ce que cela répond à la vision que la Mère s’était fixée quant à l’accessibilité universelle? Deux barrières s'élèvent alors : physique, représentée par les points d'attente et morale, car malgré leur position face à l'ouverture, il est complexe de s'installer et d'entrer librement dans cette ville.

           

          Tous les bâtiments présents à Auroville sont bâtis à partir de formes aussi différentes les unes des autres. Ils ont tous leur caractère particulier et leur façon unique de s'implanter dans l'environnement. Ces bâtiments vernaculaires variés sont construits de sorte qu’ils permettent une certaine expérience à travers leurs formes, leurs matériaux, leurs technologies. Cette ville laboratoire l'est davantage grâce à son architecture qui favorise des expérimentations de toute sorte. La majorité des constructions à Auroville sont d’ailleurs faites à partir de matériaux présents sur le site, un geste qui s'inscrit parmi les mesures du développement durable.

 

           En permettant aux habitants de réaliser un environnement qui leur est propre, un bâtiment  toujours plus différent des autres, on favorise la personnalisation et l'appropriation du lieu par les habitants et il est ainsi plus facile de déchiffrer la vocation des bâtiments. Les résidents aménagent leur maison et ce qui l'entoure; des cours, des jardins, selon leurs préférences, mais suivant tout de même un choix de matériaux préétabli par la ville et en respectant le type de végétation préalablement étudiée et testée sur les lieux. Lorsque le projet d’implantation et de construction d’un nouveau résident est accepté, on lui laisse libre-cours quant à l’appropriation de son chez-soi. N’ayant pas de lois prédéfinies, et n’étant pas liée par des conventions sociales précises, Auroville permet la libre expression dans le développement de la ville (traduction libre de Auroville Foundation 2004).

 

          La richesse met de l'avant les expériences sensorielles offertes aux gens d’un milieu. La vue est le premier sens auquel l'homme fait référence, mais il ne faut pas pour autant négliger les sens du mouvement, de l'odorat, de l'ouïe, du toucher. La richesse d'Auroville se trouve dans la forêt très présente dans l'environnement en périphérie du Matrimandir. Cette forêt accueille maintenant de l’habitation alors qu’auparavant ce secteur n’était qu’une région très aride avec une terre rouge en son sol. Les bâtiments aux caractéristiques architecturales propres s'insèrent tranquillement dans la forêt et ajoutent à la richesse visuelle des lieux. 

           La perméabilité est un principe clé pour mesurer le degré de facilité et de fluidité qu’un lieu offre aux gens pour y accéder.(Bentley,1985). La maquette d’architecture d'Auroville est basée sur le concept d’une galaxie en spirale. Cette forme laisse croire que l’endroit devrait être plutôt perméable, mais l’implantation des bâtiments, tous raccordés les uns aux autres, empêche une libre et simple circulation de la population dans l’environnement de la ville. Tout converge vers un point central le Matrimandir, mais pas sans obstacle. Malgré plusieurs points d'accès aux extrémités, le parcours suggéré reste rigide et laisse peu de possibilités à la promenade outre que celles de se diriger vers le cœur de la ville. La libre mobilité des gens est alors réduite et directive par l'effet d'attraction du Matrimandir. Quant à elle, la ceinture verte agit comme une limite entre la ville et le reste du monde. Elle encadre toute la ville et ne confère pas, à cette échelle, une perméabilité fluide à Auroville.

 

             

         La variété des usages entraine plusieurs autres niveaux de variétés, celles du cadre bâti, de la mixité sociale et de l’achalandage du lieu en général. (Bentley,1985). L’important est donc de promouvoir un maximum de choix pour la population. Les fondateurs d’Auroville ont, dès le départ, voulu miser sur cet aspect de la ville, dans un objectif d’autosuffisance, en planifiant l’implantation de plusieurs types d’activités. Par contre, ils ont organisé l'espace afin d’obtenir des zones bien définies qui sont toutes séparées : le résidentiel, le culturel, l’industriel et l’international. Sur la maquette d’Auroville, cette séparation des fonctions n’encourage pas la variété au sens que l’entend Bentley. On y retrouve une variété des usages à l’échelle de la ville entière, mais elle n’est pas représentée à l'échelle humaine. La séparation des activités empêche le développement d’un environnement stimulant et une bonne interaction de la population dans la ville.

 

            Dans un autre ordre d’idée, Auroville accueille une population provenant d’une trentaine de nationalités différentes et de tous les âges. Bien que la ville soit cosmopolite, on y retrouve une grande proportion de Français nationalité d'origine de la mère, et une grande majorité d'Indiens, gens du pays d'accueil. Cette variété offerte au sein de la population témoigne de l’ouverture de la ville face au monde. La couleur de la peau et les valeurs importent peu, tout ce qui compte c'est la personne en soi. Les habitants choisissent de vivre à Auroville en fonction des valeurs spirituelles et socialistes qui y sont véhiculées.

 

            La lisibilité est le concept qui étudie le niveau de compréhension des options et des possibilités disponibles. (Bentley,1985). Elle est importante à deux niveaux : la forme physique et le sens des activités. Le Matrimandir, le cœur de la ville, se démarque par sa centralité, sa forme, sa couleur et son gabarit. Il s’agit d’une sphère de 29,5 m de hauteur et de 36 m de largeur. Tout l’aménagement qui l’entoure est mis en œuvre pour accentuer la présence de cet élément principal. Pour les Auroviliens, il représente un point commun vu et partagé par tous, un lieu de rencontre central, un milieu spirituel propice au recueillement de soi et à la méditation. Dans le plan initial de la ville, la forme des bâtiments ne dévoile pas les fonctions et les activités qui pourraient s’y dérouler. La thèse de l'intelligibilité de la ville de Kevin Lynch avance que l'expression architecturale et urbaine doit être juste et signifiable pour limiter les ambigüités (Bentley,1985). Cela demande une compréhension immédiate et innée par la vue des différentes limites, nœuds et secteurs. Cette thèse est donc difficilement applicable à l'entièreté du projet d'Auroville qui ne possède en soi qu'un point central.

         

            La robustesse est le facteur d’évaluation de la flexibilité d’un milieu selon l’évolution des besoins des gens.(Bentley,1985). Les espaces communs doivent être malléables et facilement modifiables. Dans le projet d’Auroville, le Matrimandir est l'espace central où les habitants se rassemblent en grand nombre pour une activité spéciale, pour se ressourcer et méditer, ou tout simplement pour admirer la vue. Cet espace contrôlé et figé laisse peu de place au changement sur le plan de l'aménagement. Tous les éléments du centre sont placés, calculés et ne peuvent se modifier sans rompre l'équilibre spirituel du site. Le développement (sur)planifié d’Auroville repose entièrement sur un seul et même élément, soit le Matrimandir (selon le plan initial), et ne présente aucune capacité d'évolution. Les désirs de la Mère sont des ordres c’est pourquoi l’architecte concevoit la ville selon cette formule.

 

            L'appropriation est le concept selon lequel les gens mettent leur propre empreinte à une place et la modèlent à leur goût.(Bentley,1985). D’après la maquette d’Auroville, on ne fait pas de place pour l'appropriation. Tout est déjà prédéterminé et ne favorise pas le changement. D’ailleurs, cette ville n'est appropriable à personne, puisqu’elle appartient à tous. Il n'y a pas de propriétaires, pas de dirigeants, mais que des personnes vivant ensembles sur la base de l'harmonie (auroville.org).

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