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Qu’est-ce que l’utopie? 

 

          Le philosophe anglais Thomas More est à l’origine du concept d’utopie : eu (non) et topos (place), une place inexistante, fictive, puisqu’elle représente un idéal irréalisable (Paden, 2001). Ce diplomate humaniste, chancelier du royaume d’Angleterre, imagina une île merveilleuse qu’il nomma Utopia; un non-lieu, une société sans impôt, sans misère, sans vol où le bonheur domine et où il est à l’abri de toute tyrannie.

     

          D’après l’auteur du texte Values and planning : The argument from Renaissance Utopianism, Roger Paden, l’utopie est un concept utile pour l’analyse, car elle est sans contraintes et elle est souvent imaginée sur un endroit vide, une terre vierge (2001). L'utopie est un concept utile et important pour l'étude de la planification urbaine, car, imaginée dans un lieu fictif ou vierge, elle est libre de contraintes. Cela permet à son « créateur » de représenter son idéal sans considérer les acteurs financiers, sociaux ou spatiaux qui influencent la planification traditionnelle. De plus, les utopies sont souvent représentatives de l'époque qui les voit naître. En effet, elles sont considérées comme cycliques, car elles surviennent généralement en temps de changements sociaux, en réaction à des problèmes perçus dans la société. Conséquemment, d’après Paden, elles sont souvent inspirées de penseurs ou de philosophes.

 

          Pour Dominique Pagès, l’utopie propose un système de pensée essayant d’imposer un ordre différent de celui en place. Elle affirme dans l’imaginaire, la réalisation de ce qui est nié ici et maintenant, elle répond alors au besoin de fictions qui anime une société. Pour actualiser ces aspirations multiples, les utopies font appel à des constantes sémantiques et formelles dont la stabilité et la force évocatrice ont fait le succès du genre :

 

  • L’Insularité – tendance à privilégier les espaces isolés et protégés (île, lieux retirés, ceinturés d’une barrière soit végétale, soit minérale, etc.);

  • L’intemporalité – un système donné « une fois pour toutes »;

  • L’autarcie – réduire au strict minimum (autosuffisance, réduire les échanges économiques);

  • La planification urbaine – cité idéale, rationalisation extrême des formes et l’organisation interne de l’espace; des villes au cordeau des hygiénistes aux cités jardins des réformistes anglais, pareillement habitées par le souci de la santé et de la lisibilité de l’espace;

  • La réglementation – les activités sont fortement organisées et contrôlée, établir des rythmes collectifs prévisibles et harmonieux.

 

          En effet, pour Dominique Pagès, « la compulsion utopique et la croyance en des espaces de régénération radicale n'ont pas disparu : la récente réalisation à travers le monde de projets à forte connotation utopique en est la preuve tangible » (Pagès, 2000). Il cite d’ailleurs l’exemple contrasté de « la communauté d'Auroville », en la classant dans la catégorie des « nouvelles utopies architecturales réalisées» (Pagès, 2000). En ce sens, l’auteure déclare qu’Auroville est « [u]ne utopie à la fois formelle et sociale» (Pagès, 2000) et qu’elle est « [i]nscrite dans la lignée des utopies communautaristes et des utopies urbanistiques du 19e siècle; mais plus que les simples vertus du territoire de référence, ce sont la clôture de l’espace et l’organisation singulière de l’autorité qui caractérisent cette expérience» (Pagès, 2000). Auroville est renfermée sur elle-même et utilise un système de gouvernance propre à elle-même, c’est ce qui renforce davantage son caractère utopique aux yeux de Pagès.

 

           Les utopistes de la renaissance ont utilisé l’invention de la perspective visuelle pour penser les villes (Solinís, 2006), mais on peut effectivement retracer une forme d’utopie à l’antiquité grecque (Platon/Aristote) avec cette idée que la ville peut être la base d’une société idéale. Cela réfère au concept que l’espace, l’environnement, influence la société. L’utopie y est donc perçue comme un modèle d’environnement à reproduire pour contrôler les pratiques sociales dans lequel l’espace est un outil.  On doit d’abord comprendre que les utopies de la renaissance viennent surtout d’Italie (Paden, 2001). À l’origine, elles représentent souvent des traités d’architecture incluant des plans de ville idéale comme « exemple ». Ces plans étaient la plupart du temps circulaires, regroupant les institutions au centre, des rues radiales partant du milieu, qui se ressemblaient d’un plan à l’autre.

          Ces anciennes utopies contrastent avec les plus récentes, car elles sont moins prescriptives. Elles avancent des grandes lignes directrices, la forme de la ville et son centre, mais elles font confiance à une certaine contribution qu’apporte l’espace public central. Les plus modernes sont souvent autoritaires et perçus comme des outils reproductibles pour changer les sociétés (Paden, 2001).


Les utopies, du moins les modernes, partagent souvent les caractéristiques suivantes : 
 

  • Un objectif d’harmonie sociale à travers un espace strict et défini;

  • Une géométrie définie, un espace politique fondé sur la relation entre l’environnement et le fonctionnement de la société

  • Un isolement géographique ou un positionnement sur des endroits non bâtis;

  • Un ordre strict orthogonal (l’angle droit est essentiel pour maîtriser le chaos);

  • Des ordres spatiaux construits de manière contrôlée et spécialisée (cela assure le fonctionnement);

  • Une innovation technologique ou technique (Solinís, 2006)

 

          Dans le modèle d’utopie de la renaissance, tout comme dans le projet de design urbain d’Auroville, la ville possède une forme « universelle », soit circulaire et présente un centre dédié aux institutions ainsi qu’à la vie civile, mais auquel on attribut surtout le symbole d’attraction à lareligion, le Matrimandir. Les origines d’Auroville, la naissance du projet, sont également similaires aux vieilles utopies, puisqu’aucun plan n’avait été défini au départ, moins autoritaire comme planification. On y présentait seulement l’idée d’un centre spirituel. C’est plus tard que le « master plan » prendra une tangente plus prescriptive. 

   

          Selon Françoise Choay, trois grands modèles regroupent les principales théories d’urbanisme : le progressisme, représenté par Cerdà et surtout par l’urbanisme fonctionnaliste; le culturalisme, avec les Cités jardins, puis le naturalisme incarné par Broadacre City de Wright (Brochu, 2011).

 

          « Élaborés indépendamment du site et du contexte, ces modèles proposent une forme de ville clairement définie qui est la transcription dans l’espace d’une conception de la société idéale. [¼] L’étude de la ville existante sert ainsi des ambitions curatives : pathologie de la société, la ville est malsaine et doit être guérie. Ces modèles témoignent d’une façon de penser l’urbanisme fortement conditionnée par l’utopie moréenne. En effet, selon Choay, l’Utopie de Thomas More inaugure une façon d’aborder l’espace propre à la culture occidentale moderne et met de l’avant une conception instrumentale de l’espace dont le façonnement “acquiert une dimension orthopédique”» (Brochu, 2011).

 

 

          Voyons alors, à partir d’un croisement de la critique connue de Françoise Choay dans L’urbanisme, utopies et réalités : une anthologie et des monographies rassemblées par Thierry Paquot sous le titre Les faiseurs de villes, dans quelle mesure et selon quels éléments le projet d’Auroville s’inscrit dans la mêlée des plus grandes utopies urbaines de l’histoire.

 

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